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06/05/2020

Thomas Descubes 

5 min.

Le secteur aérien a du plomb dans l'aile

« En moins de 65 jours, nous sommes revenus aux niveaux d'il y a 65 ans » déclarait le 4 mai 2020 le PDG du groupe Lufthansa, Carsten Spohr. Il y a encore quelques mois, le transport aérien mondial visait les 4,7 milliards de passagers, soit pas moins de 40 millions de vols au total, pour l’année 2020. Pourtant aujourd’hui, la croissance de l’activité aérienne, qui évoluait depuis plusieurs années entre 5% et 7%, n’est plus qu’un lointain souvenir. La pandémie de Covid-19 marque la fin d’un âge d’or, et d’aucuns en profitent pour envisager de nouvelles voies de développement pour le secteur.

Quel redécollage, demain, pour le secteur aérien ?

Le coronavirus a terrassé le secteur aérien, et met en lumière les fragilités de tout un modèle économique. Alors que le Covid-19 s’est répandu à très grande vitesse à l’ensemble de la planète et que 4,6 milliards de personnes sont confinées dans le monde, le secteur aérien souffre. La crise affecte désormais 98% du trafic international de passagers. Depuis près de deux mois, 65% des avions sont cloués au sol, les chaines de production des avionneurs fonctionnent au ralenti, et les restrictions de circulation ont aussi bien affecté les liaisons intérieures qu’internationales, faisant perdre près de 600 millions d’euros aux compagnies chaque jour.

A Moscou, les aéroports de Sheremetyevo et Domodedovo ne voient décoller plus que 30 avions quotidiennement, un nombre atteint auparavant en une heure. En France, l'aéroport d'Orly a même dû fermer face à la baisse du trafic aérien. Selon l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA), le trafic mondial a chuté en mars de 52,9%, pour le faire retomber au niveau de 2006. Le manque à gagner des compagnies s’élève déjà à plus de 250 milliards de dollars, soit 30% de leur chiffre d’affaires annuel.

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Sheremetyevo, 22.04.20, Russia Beyond, M. Voskresensky

Inévitablement, les conséquences économiques d’une mise à l’arrêt aussi massive sont dévastatrices, et les Etats se précipitent à la rescousse de leurs fleurons nationaux, conscients de l’importance vitale que revêt cette industrie pour l’ensemble du tissu économique. Le 4 mai dernier, la Commission Européenne a approuvé l’aide financière accordée par l’Etat français à Air France, pour un montant de 7 milliards d’euros, permettant à la compagnie d’écarter la crainte d’une faillite et de mieux appréhender la reprise progressive du trafic. Cette aide consistera d’une part en un prêt garanti par l’Etat français (PGE) à hauteur de 4 milliards d’euros, et d’autre part en un prêt d’actionnaire de l’Etat français, d’un montant de 3 milliards d’euros. Du côté russe, le président Vladimir Poutine a promis mi-avril plus de 23 milliards de roubles (286 millions d'euros aux taux actuels) en soutien aux compagnies aériennes nationales, notamment Aeroflot.

Ces aides ne sont toutefois pas sans contreparties. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a en effet martelé qu’Air France devrait « devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l’environnement de la planète ». Pour y parvenir, le ministre a notamment suggéré une suppression définitive de nombreuses lignes intérieures, jugées inutilement émettrices en gaz à effet de serre par rapport au rail sur des temps de trajet inférieurs à 2h30. Le PDG d’Air France, Benjamin Smith, semble ouvert à la discussion, annonçant l’accélération de la restructuration de l’offre de transport régionale de la compagnie.

En revanche, toutes les compagnies n'ont pas la chance d'avoir des États comme actionnaires principaux. Le patron de l’IATA, Alexandre de Juniac, a sonné l’alarme en déclarant que « si on continue comme ça,  la moitié des compagnies aériennes auront disparu en juin ». D'après les projections, le chiffre d'affaires du secteur va baisser de moitié en 2020, et de nombreuses faillites et restructurations de compagnies aériennes sont à prévoir, car la saison estivale et le faible prix du baril seront insuffisants pour compenser une perte nette totale de 39 milliards au deuxième trimestre 2020 (IATA).

Le choc sera également brutal pour les avionneurs. Selon le cabinet Archery Strategy Consulting (ASC), la demande d’avions neufs chutera de 40% à 60% dans les cinq prochaines années. La crise renforcera toutefois sûrement la mainmise d’Airbus sur le secteur des avions moyen-courrier, alors même que Boeing est toujours empêtré dans le fiasco de son 737 MAX. Le redémarrage des vols long-courrier sera en outre plus poussif, achevant de disqualifier les gros porteurs tel que l’A380, dont beaucoup d’exemplaires ne revoleront sûrement pas.

Mais alors à quoi ressemblera le trafic aérien de demain ? Il est en tout cas certain que la propension des voyageurs à emprunter l’avion sera fortement diminuée. Selon les experts, qui tablent sur une réouverture probablement lente et différenciée des frontières, la remise en route du secteur prendrait entre 18 mois et 3 ans, et le retour au niveau d’avant-crise prendrait jusqu’à 10 ans. Outre la crainte persistante d’une éventuelle contamination au Covid-19, le déconfinement risque de s’accompagner d’une baisse durable du pouvoir d'achat des ménages liée au chômage partiel et aux licenciements, ainsi qu’une aversion au risque accrue dans un monde en récession. Enfin, les entreprises vont sans doute serrer la vis concernant les voyages d’affaires, alors même que le confinement les a poussées à adopter des conduites innovantes. Les compagnies commencent déjà massivement à licencier leur personnel, à l’image de Virgin Atlantic ou RyanAir, avec de lourdes conséquences sociales à la clé.

Toutefois, malgré l’ampleur du choc, il serait irresponsable de relancer la machine sans avoir profondément repensé les stratégies de développement des compagnies. En effet, même si selon un sondage du 4 mai 2020, 70% des français sont prêts à prendre l’avion pour leurs prochaines vacances, le mouvement du « flight shaming » (la honte de prendre l’avion) prend une ampleur inédite chez les jeunes dans le monde entier, alors même que le transport aérien est responsable de 3% des émissions globales de gaz à effet de serre.

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L’industrie du transport aérien doit donc explorer toutes les solutions technologiques permettant de réduire cet impact environnemental, et les pouvoirs publics gagneraient indéniablement à les y soutenir en investissant massivement dans la recherche.

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#1. Un nouveau désordre mondial.

Thomas Descubes

Vice-président du JBC

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

#2. Le secteur aérien a du plomb dans l'aile.

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#3. Quel avenir pour les musées ?

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